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pas vrai : il vous a faits pour souffrir. L’homme qui ne souffre pas est une machine mal faite, une créature manquée, un estropié moral, un avorton de la nature. La mort n’est pas seulement la fin de la vie, elle en est le remède. On n’est nulle part aussi bien que dans un cercueil. Si vous m’en croyez, au lieu d’un paletot neuf, allez vous commander un cercueil. C’est le seul habit qui ne gêne pas.

Ce que je viens de vous dire, vous le prendrez pour une idée philosophique ou pour un paradoxe, cela m’est certes bien égal. Mais je vous prie au moins de l’agréer comme une préface ; car je ne saurais vous en faire une meilleure ni qui convienne mieux à la triste et lamentable histoire que je vais avoir l’honneur de vous raconter.

Vous me permettrez de faire remonter mon histoire jusqu’à la deuxième génération, comme celle d’un prince ou d’un héros dont on fait l’oraison funèbre. Vous n’y perdrez peut-être pas. Les mœurs de ce temps valaient bien celles du nôtre : le peuple portait des fers ; mais il dansait avec, et leur faisait rendre comme un bruit de castagnettes.

Car, faites-y attention, la gaîté s’accoste toujours de la servitude. C’est un bien que Dieu, le grand faiseur de compensations, a créé spécialement pour ceux qui sont sous la dépendance d’un maître ou sous la dure et lourde main de la pauvreté. Ce bien, il l’a fait pour les consoler de leurs misères, comme il a fait certaines herbes pour fleurir entre les pavés qu’on foule aux pieds, certains oiseaux pour chanter sur les vieilles tours, comme il a fait la belle verdure du lierre pour sourire sur les masures qui font la grimace.

La gaîté passe, ainsi que l’hirondelle, par-dessus les grands toits qui resplendissent. Elle s’arrête dans les cours des collèges, à la porte des casernes, sur les dalles moisies des prisons. Elle se pose, comme un beau papillon, sur la plume de l’écolier qui griffonne