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d’être émancipée ; elle a, dis-je, depuis long-temps atteint sa majorité, car sa majorité c’est le génie ! Il y a sept ans déjà, je suivais le cercueil d’un poète de vingt-huit ans, d’un autre homme du peuple qui n’eut même pas de famille, qui était né bâtard, avait vécu pauvre et était mort phtisique à l’hôpital, dans la misère et dans l’oubli, à la fleur de l’âge et du talent. La misère est une dure pierre de meule qui n’aiguise pas le génie, elle l’use ; l’oubli est la rouille des poètes, elle les ronge ! J’avais eu le bonheur d’entendre pour la première fois les vers de ce poète obscur dans une réunion d’ouvriers, qui les chantaient comme les gondoliers chantent les vers du Tasse ; et plein d’admiration pour cette belle poésie inconnue, je m’en allais, criant comme les hérauts des funérailles antiques : « Ci gît un grand poète ! Attention, vous tous ; il y a là, je vous le dis, un poète, un rai poète, qui vient de mourir, comme Gilbert, de misère et d’oubli ! » Et je récitais les vers de ce mort qui devenait immortel !… Je fis sur lui un article comme celui-ci, qui ne contenait que des extraits de son œuvre ; si bien que, loué par lui-même, le poète fut connu aussitôt que publié, et acheté aussitôt que connu. La gloire, ce soleil des morts, la gloire tardive, la gloire posthume, hélas ! mais bien juste et bien due, mais éternelle, se leva enfin pour le pauvre défunt ; un rayon de triomphe put du moins traver-