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Quand il ne me faut qu’une côtelette pour le remplir, pourquoi donc irais-je, pour avoir un aloyau, me faire le garçon d’un boucher ? Ma table est étroite, mal servie, et même très peu servie. Je croirais insulter un estomac tant soit peu comme il faut que de l’y inviter. Je mange ma maigre soupe dans des cuillers d’étain. Je fais ma boisson quotidienne de la piquette du pays ; aussi, quand Dieu m’envoie du bourgogne, je le trouve délicieux ! c’est un avantage que n’ont pas les amis de M. Dupin. Comme je ne liante pas les grandes dames, ma toilette me coûte fort peu, et la leur ne me coûte rien. J’ai pour principe qu’on n’est point vêtu d’un habit qu’on garde au porte-manteau ; aussi n’ai-je pour toute garde-robe qu’un paletot d’agréable épaisseur pour l’hiver, et qu’une chétive redingote pour les jours légers de la belle saison ; et même les puristes en fait de toilette trouvent qu’il manque à mon pantalon des sous-pieds. Je recule autant que possible l’existence de ces vêtements, et si je pouvais leur conférer la longévité des habits de noces de nos grands-pères, sans scrupule je la leur conférerais. Quand ils sont éraillés au coude ou ailleurs, je n’en ai nul souci. Je m’inquiète fort peu que la mode, quand je passe devant elle, me regarde de travers. Cela ne nuit point à ma considération auprès de ceux qui me connaissent, et je ne tiens guère à la considération éphémère des passants. J’ai d’ailleurs, quand on me salue, la satisfaction de me dire que ce n’est pas à mon habit qu’on s’adresse. Je n’ai point de domestiques pour me mal servir : j’ai mes deux enfants qui suffisent très bien à cette besogne. Comme ils n’obéissent jamais à ma première injonction, cela me procure l’avantage de m’indigner contre eux ; ainsi mon humeur conserve toujours une salutaire âpreté, et mon style de pamphlétaire se maintient toujours à la trempe qui lui convient Quelque bornées que soient mes ressources, elles me permettent encore d’être la dupe de certaines gens.