ma paille, des rêves plus tranquilles que bien d’autres sous leur alcôve de soie.
« Et, pourtant, voilà un monsieur qui tient d’un de mes amis intimes que j’ai voulu me vendre à M. Dupin !… Mais, c’est d’un de mes ennemis intimes qu’il voulait dire. Singulier ami intime, en effet, que celui qui dénonce, au premier voisin de table que lui donne le hasard, les turpitudes de son ami !.. Il est possible que chez les gens comme il faut il y ait des amis intimes de cet acabit, des amis qui disent en eux-mêmes, tandis qu’ils vous serrent la main : « Mon cher ami, quand te verrai-je déshonoré ou ruiné ? » mais, chez nous autres, gens de rien, la langue est plus près du cœur : nous avons des amis qui nous aiment, qui viennent à notre aide quand nous avons besoin d’eux, qui nous justifient quand on nous accuse ; mais nous n’avons point d’amis qui nous calomnient. Du reste, la fable de mon ami intime est assez mal imaginée, et je lui conseille, en bon ami, de ne point consacrer son talent, s’il en a, au genre de l’apologue.
« Si j’avais eu jamais l’intention de me vendre à M. Dupin, j’aurais fait tout le contraire de ce qu’il suppose : au lieu de me laisser aller à une folle rancune contre l’autocrate, parce qu’il aurait déporté ma pétition dans ses papiers à vendre, je l’aurais cajolé, je l’aurais encensé, je l’aurais adoré ; j’aurais écrit des rames de papier sur ses vertus politiques, sur sa fermeté de caractère, sur son invincible adhérence à ses convictions, sur son désintéressement, sur son abnégation de lui-même et de sa famille, sur son antipathie pour l’argent du budget, sur l’impartialité avec laquelle il use de son crédit, sur l’équité qu’il met dans ses distributions de croix d’honneur, et même sur ses vastes connaissances en agriculture. Il aurait fallu que j’eusse une bien mauvaise chance contre moi, si je n’étais parvenu, en procédant ainsi, à désarmer ses rigueurs,