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« Se tiennent-elles, comme la fruitière, grelottantes, et souvent, hélas ! les entrailles vides, devant une pauvre boutique qu’avec une pièce de cinq francs on achèterait tout entière ?

« Quand vous reveniez de votre travail, accablés de fatigue et vos outils sur l’épaule, avez-vous quelquefois été jetés dans la boue par un carrosse de prince ? ou bien, un orchestre de fête, pétillant et ricanant à travers les fenêtres illuminées d’un palais, vous a-t-il poursuivis de son ironique harmonie ?

« N’avez-vous, quand vous êtes rentrés sous vos noires solives, que quelques broutilles ramassées le long des haies pour sécher vos pieds et réchauffer vos mains, et ne trouvez-vous, dans votre écuelle, pour vous refaire le sang nécessaire aux travaux du lendemain, qu’une maigre soupe de pain noir ou des herbes à peine salées ?

« Avez-vous vu quelquefois votre famille à jeun et n’osant vous interroger de sa parole malade et altérée, chercher dans vos yeux si vous lui apportiez quelque nourriture, et vous êtes-vous enfuis, pour pleurer à votre aise, dans la campagne, de rage et de désespoir, et jeter à Dieu, sous son ciel, des blasphèmes qu’il pût entendre ?

« Vous êtes-vous trouvés quelquefois obligés d’envoyer votre fils tendre ses petites mains, violettes de froid, aux messieurs qui passent en manteau dans la rue, et vous est-il revenu les yeux en pleurs et les mains vides ?

« Votre femme, cette douce créature qui vous souriait, quand du noir abîme de votre ame le chagrin montait à votre front, qui pleurait sur vos mains quand vous vous emportiez contre votre mauvaise fortune, qui se levait doucement d’entre vos bras pour coudre et repasser aussitôt que le sommeil avait raidi votre paupière, votre femme que Dieu avait unie à vous comme il unit les lianes en fleurs aux vieux arbres morts et