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— Oui, mets ton noël sur le gril, et tu verras ce qu’il vaudra.

— Je te reconnais bien là, Arthus ; toi, tu n’estimes que ce qui est rôti ou bouilli.

— Que veux-tu ? ma sensibilité, à moi, réside dans les houppes de mon palais ; et j’aime autant qu’elle soit là qu’ailleurs. Un appareil digestif organisé solidement vaut-il moins, pour être heureux, qu’un cerveau largement développé ? voilà la question.

— Si nous nous en rapportions à un canard ou à un pourceau, je ne doute pas qu’ils ne la décidassent en ta faveur ; mais je prends Benjamin pour arbitre.

— Ton noël me convient beaucoup, dit mon oncle :

À genoux, chrétiens, à genoux !

C’est superbe. Quel chrétien pourrait refuser de s’agenouiller quand tu lui en fais deux fois l’invitation dans un vers de huit syllabes ? mais je suis de l’avis d’Arthus, j’aime encore mieux une côtelette en papillote.

— Une plaisanterie n’est pas une réponse, dit Millot.

— Eh bien ! crois-tu qu’il y ait une douleur morale qui fasse autant souffrir qu’une rage de dents et qu’un mal d’oreille ? Si le corps souffre plus vivement que l’âme, il doit également jouir avec plus d’énergie ; cela est logique ; la douleur et le plaisir résultent de la même faculté.

— Le fait est, dit M. Minxit, que si j’avais le choix entre l’estomac de M. Arthus et le cerveau suroxygéné de J.-J. Rousseau, j’opterais pour l’estomac de M. Arthus. La sensibilité est le don de souffrir ; être sensible, c’est marcher pieds nus sur les cailloux tranchants de la vie, c’est passer à travers la foule qui vous heurte et vous coudoie, une plaie vive au côté. Ce qui fait le