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rurier, en faisant descendre et monter sa branloire, rêve de sa patrie absente et du jour où il reverra sa mère ; le tailleur, en cousant son paletot, rencontre quelquefois un bruyant hémistiche qu’il fait sonner longtemps en lui-même, comme le paysan fait sonner une pièce d’argent pour s’assurer qu’elle est de bon aloi ; et quelquefois aussi il lui arrive de saisir dans un pli de son drap, une rime bégueule qui lui a longtemps fait la nique ; mais nous, il faut que nous veillions sur notre pensée comme la sentinelle veille sur le terrain confié à sa garde, que nous en écartions impitoyablement tout rêve, tout souvenir, toute idée étrangère à notre école, que nous regardions et que nous parlions à la fois, que nous domptions celui-ci, que nous stimulions celui-là, que de ce côté nous maintenions l’ordre, et que de cet autre nous hâtions le progrès ; qu’à nous seuls, en un mot, nous fassions la besogne de trois. Plusieurs d’entre nous sont doués de brillantes facultés, mais quand leur intelligence voudrait s’envoler vers de pures et hautes régions, il faut qu’ils la clouent par les ailes aux planches de leur estrade ; ils ont un outil d’or, et ils ne peuvent remuer avec que des fanges et des graviers. Vous, cependant, nos seigneurs les évêques, que faites-vous pendant ce temps ? Vous pérorez dans une chaire, vous faites les petits dieux sous un dais, vous vous faites encenser par des lévites, ou bien encore, vous exilez d’un trait de plume quelque vieux prêtre d’une paroisse amie. Pour cette rude besogne, le gouvernement vous alloue dix mille francs par an ; mais vous n’êtes gens à vous contenter de si peu de chose. Vous voyagez une fois l’an ; quand vous avez fait une cinquantaine de lieues, vous revenez, accablés de fatigue, vous reposer dans votre palais, et pour cette pénible expédition vous n’exigez pas moins de deux mille francs. Vous appelez cela des frais de tournées. Hélas ! combien d’entre nous seraient au comble de leurs vœux, si, pour leur labeur de toute