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bruyants qui avaient fait de sa vie une longue partie de fête. Il avait mis de côté la médecine comme un embarras inutile. Les compagnons de longue jeunesse respectaient sa douleur, et, sans cesser de l’aimer, ils avaient cessé de le voir. Sa maison était muette et fermée comme une tombe ; et à peine, par quelques persiennes entr’ouvertes, jetait-elle à la dérobée quelques regards sur le village. Les cours ne retentissaient plus du bruit des allants et des venants ; les premières herbes du printemps s’étaient emparées de l’avenue, de hautes plantes domestiques croissaient le long des murs et formaient à l’entour comme un lambris de verdure. Cette pauvre âme en deuil n’avait plus besoin que d’obscurité et de silence. Il avait fait comme une bête fauve qui se retire, lorsqu’elle veut mourir, dans les profondeurs les plus sombres de sa forêt. La gaieté de mon oncle venait échouer contre cette incurable mélancolie. M. Minxit ne répondait à ses joyeusetés que par un morne et triste sourire, comme pour lui dire qu’il avait compris, et qu’il le remerciait de sa bonne intention. Mon oncle avait compté sur le printemps pour le ramener à la vie ; mais ce printemps, qui revêt toute terre aride de fleurs et de verdure, n’a rien à faire reverdir dans une âme désolée, et tandis que tout renaissait, le pauvre homme se mourait lentement.

C’était un soir du mois de mai. Il se promenait dans sa prairie, appuyé sur le bras de Benjamin. Le ciel était limpide, la terre était verte et parfumée, les rossignols chantaient dans les peupliers, les demoiselles voltigeaient avec un harmonieux frôlement de leurs ailes entre les roseaux du ruisseau, et l’eau toute couverte de fleurs d’aubépine murmurait sous les racines des saules.

— Voilà une belle soirée, dit Benjamin, cherchant à tirer M. Minxit de cette sombre rêverie qui enveloppait son esprit comme un linceul.

— Oui, répondit celui-ci, une belle soirée pour le pauvre paysan