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oublié comme la jeune fille oublie le rosier qui lui a fourni sa première guirlande. Cette douce affection trépassée, elle est là gisante dans un coin de mon cœur sous un crêpe rose ; car le destin de l’homme est d’oublier. Le fond de tout cœur humain est, hélas ! un amas de scories et de cendres. Notre ame est un cimetière tout rempli de tombes et d’épitaphes, un champ où les fleurs nouvelles prennent racine sur les fleurs mortes. L’oubli est un bienfait de Dieu ; car si l’homme, autour de qui tout change et tout passe, n’avait le don d’oublier, il serait le plus malheureux de tous les êtres ; la vie serait pour lui une éternelle douleur, son œil une source intarissable de pleurs. »

Et ses doléances de maître d’école qui succèdent à celles du maître d’étude, où les connaître mieux que dans cette récrimination si expressive et si éloquente :

« Nous, si nous savions prêcher, que dirions-nous donc des évêques ? De vous prélats, ou de nous autres maîtres d’école, lesquels gagnent mieux leur salaire ? Nous sommes là du matin au soir, entre vingt groupes qui glapissent comme une meute, à faire marcher cette lourde et paresseuse machine qu’ils appellent une école mutuelle, à enfoncer, comme un manœuvre enfonce un coin dans un tronc d’arbre, des lettres et des syllabes dans ces durs cerveaux d’enfants, à nous fêler la poitrine et à nous aigrir le sang dans des explications fastidieuses et cent fois répétées ? Le pauvre cantonnier peut quitter un moment sa pioche pour serrer la main à une vieille connaissance qui passe et qu’il n’avait pas vue depuis longtemps ; le maçon, sur son échafaud, tourne la tête et suit longtemps dans la foule une jeune fille qui l’a salué d’un geste ami ; le compagnon ser-