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triste maison ? Pour toi, quand ta dernière goutte de sang se sera écoulée, tout sera fini ; mais nous, bien des mois, bien des années se passeront avant que notre douleur soit tarie, et les larmes blanches de ta croix seront depuis longtemps effacées que nos larmes couleront toujours.

Mon oncle s’éloignait sans répondre, et peut-être il pleurait, mais ma grand’mère l’arrêta par le pan de son habit.

— Cours donc à ton rendez-vous de meurtre, bête féroce ! s’écria-t-elle, ne fais pas attendre M. de Pont-Cassé ; peut-être l’honneur exigera-t-il que tu partes sans embrasser ta sœur ; mais prends du moins cette relique que le cousin Guillaumot m’a prêtée, peut-être te préservera-t-elle des dangers où tu vas te jeter si étourdiment.

Mon oncle jeta la relique dans sa poche et s’esquiva.

Il courut éveiller M. Minxit à son auberge. Ils prirent en passant Page et Arthus et s’en allèrent déjeuner dans un cabaret à l’extrémité de Beuvron. Mon oncle, s’il devait succomber, ne voulait pas s’en aller l’estomac vide. Il disait qu’une âme qui arrivait entre deux vins au tribunal de Dieu a plus de hardiesse et plaide bien mieux sa cause qu’une pauvre âme qui est pleine de tisane et d’eau sucrée. Le sergent assistait au déjeuner ; lorsqu’on fut au dessert, mon oncle le pria d’aller à la Croix-des-Michelins porter une table, une boîte et deux chaises dont il avait besoin pour son duel, et d’y allumer un grand feu avec les échalas de la vigne voisine ; puis il demanda du café.

M. de Pont-Cassé et son ami ne tardèrent pas d’arriver.

Le sergent leur fit de son mieux les honneurs du bivouac.

— Messieurs, dit-il, donnez-vous la peine de vous asseoir, et chauffez-vous. M. Rathery vous prie de l’excuser s’il vous fait un peu attendre, mais il est à déjeuner avec ses témoins, et dans quelques minutes il sera à votre disposition.