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je les avais gloutonnement dissipés en brioches et en petits pains que je mangeais dans les rues quand je sortais ; car j’étais toujours tourmenté par la faim. »

Tillier quitte ainsi la pension de M. R. vers le mois d’octobre 1820, à cause d’une verte correction qu’il avait justement infligée à un des élèves anglais :

« J’avais réglé mon compte avec M. R. Il me revenait vingt-deux francs cinquante centimes qu’il me donna. Je les sentais tressaillir dans ma poche.

« J’eus bientôt rassemblé mes hardes. Je n’avais d’autre malle qu’une vieille cravate noire nouée par les quatre coins, et il y avait dedans plus de papiers griffonnés que de linge. Je mis par hasard la main sur un vieux reste de cigare qui se trouvait dans ma poche. Il me sembla que cela ferait bon effet de sortir le cigare à la bouche. Je l’allumai à la cuisine, puis je traversai fièrement la cour comme une garnison qui sort de la place avec les honneurs de la guerre.

« Près de la grande porte était un enfant qui semblait attendre quelqu’un. C’était un petit écolier de quatrième, mon voisin de table dans la salle d’études et auquel j’aidais souvent à faire ses versions.

« Aussitôt qu’il me vit, il courut à moi, et me présentant un rectangle enveloppé de papier blanc :

« — Je vous en prie, monsieur, prenez cela ; c’est du chocolat à la vanille ; je sais que vous ne gagniez pas beaucoup d’argent chez M. R., cela vous fera quelques déjeuners. Ne craignez pas de me priver, voici les étrennes, maman me donnera d’autre chocolat, et vous, personne, peut-être, ne vous donnera rien.

« Cette marque d’amitié si imprévue me bouleversa. J’ai,