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dre le titre d’homme de lettres, titre que rehaussait merveilleusement celui d’instituteur. Il passait ses journées à compulser les bibliothèques publiques, et ses soirées dans les salons du faubourg Saint-Germain, où il était admis à cause de la pureté de son royalisme.

« Pendant son absence, la couronne tombait en quenouille. Celte quenouille, c’était M me R., une anglaise rousse et pâle. Son teint ressemblait à la coquille d’un œuf de dinde ou à du satin blanc longtemps exposé à la fumée ou aux injures des mouches. Les élèves l’aimaient beaucoup, parce qu’elle leur donnait toujours raison ; les maîtres d’études la détestaient, parce qu’elle leur donnait toujours tort.

« Il y avait, dans la pension de M. R., vingt à vingt-cinq Anglais apportés en dot par sa femme, et environ autant de Français amenés par lui. Ce mélange des deux nations était un système d’éducation. Les Anglais de Madame devaient apprendre aux Français de Monsieur la langue de Byron en jouant à la marelle ou aux billes ; ceux-ci apprendre, par la même occasion, la langue de Racine à ceux-là. Par suite de ce malencontreux échange, les noms avaient perdu leurs articles, les adjectifs leur genre, les verbes leurs conjugaisons. C’était un tel galimatias et une telle confusion des deux idiomes qu’on

ne s’y entendait plus

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« Les premiers jours que je passai dans la maison, je fus horriblement malheureux. La perte de la liberté était pour moi une privation insupportable. J’enviais en secret le sort du décrotteur qui passait en chantant sous les fenêtres. J’aurais volontiers donné tout mon petit trésor de science pour sa sellette et ses mains noires. Quelquefois les larmes m’étouffaient, mais je n’osais pleurer : il fallait attendre la nuit pour me donner ce plaisir.