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Celui dont on a confisqué le corps et auquel on laisse la faculté de penser à son gré, est cent fois plus libre que celui dont on tient l’âme captive aux chaînes d’une occupation odieuse. Le prisonnier passe sans doute de tristes heures à contempler, à travers ses barreaux, le chemin qui fuit dans la plaine et va se perdre sous les ombrages bleuâtres de quelque lointaine forêt. Il voudrait être la pauvre femme qui mène sa vache le long du chemin en tournant son fuseau, ou le pauvre bûcheron qui s’en va couvert de ramées vers sa chaumine qui fume par dessus les arbres. Mais cette liberté d’être où l’on voudrait, d’aller droit devant soi tant qu’on n’est pas las ou qu’on n’est pas arrêté par un fossé, à qui appartient-elle ? Le paralytique n’est-il pas en prison dans son lit, le marchand dans sa boutique, l’employé dans son bureau, le bourgeois entre l’enceinte de sa petite ville, le roi entre les limites de son royaume et Dieu lui-même entre cette circonférence glacée qui borne les mondes ? Tu vas haletant et ruisselant de sueur sur un chemin brûlé par le soleil : voici de grands arbres qui étalent à côté de toi leurs hauts étages de verdure et qui secouent comme par ironie leurs feuilles jaunes sur ta tête : tu voudrais bien, n’est-ce pas, te reposer un instant sous leurs ombres et essuyer tes pieds dans la mousse qui tapisse leurs racines ; mais entre eux et toi il y a six pieds de murs ou les barreaux acérés d’une grille. Arthus, Rapin, et vous tous qui n’avez qu’un estomac, qui ne savez que dîner après avoir déjeuné, je ne sais si vous comprenez ; mais Millot-Rataut, qui est tailleur et qui fait des Noëls, me comprendra, lui. J’ai souvent désiré suivre dans ses pérégrinations vagabondes le nuage qui s’en allait aux vents par le ciel. Souvent quand, accoudé sur ma fenêtre, je suivais en rêvant la lune qui semblait me regarder comme une face humaine, j’aurais voulu m’envoler comme une bulle d’air vers ces mystérieuses solitudes qui passaient au-dessus de ma tête et j’aurais donné tout au monde pour m’asseoir un instant sur un de ces gigantesques pitons qui déchirent la blanche surface de la planète. N’étais-je pas alors