attention à ce que je vais vous dire : Si vous vendez votre vigne pour me tirer des griffes de Bonteint, le premier usage que je ferai de ma liberté, ce sera de quitter votre maison, et de votre vie vous ne me reverrez.
— Cependant, dit Machecourt, il faut bien qu’il en soit ainsi ; on est frère ou on ne l’est pas. Je ne veux pas te laisser en prison quand j’ai entre les mains les moyens de te rendre la liberté. Tu prends les choses en philosophe, toi, mais moi je ne suis pas philosophe. Tant que tu seras ici, je ne pourrai manger un morceau ni boire un verre de vin blanc qui me profite.
— Et moi, dit ma grand’mère, crois-tu que je pourrai m’habituer à ne plus te voir ? Est-ce que ce n’est pas à moi que notre mère t’a recommandé à son lit de mort ? Est-ce que ce n’est pas moi qui t’ai élevé ? Est-ce que je ne te regarde pas comme l’aîné de mes enfants ? Et ces pauvres enfants, c’est pitié de les voir ; depuis que tu n’es plus avec nous, on dirait qu’il y a un cercueil dans la maison. Ils voulaient tous nous suivre pour te voir, et la petite Nanette n’a jamais voulu toucher à sa croûte de pâté, disant qu’elle la gardait pour son oncle Benjamin qui était en prison, et qui n’avait que du pain noir à manger.
— C’en est trop ! dit Benjamin poussant mon grand-père par les épaules, va-t’en, Machecourt, et vous aussi, ma chère sœur, allez-vous-en, je vous en prie, car vous me feriez commettre une faiblesse ; mais, je vous en préviens, si vous vous avisez de vendre votre vigne pour payer ma rançon, jamais de ma vie je ne vous reverrai.
— Allons, grand niais, poursuivit ma grand’mère, est-ce qu’un frère ne vaut pas mieux qu’une vigne ? Ne ferais-tu pas pour nous ce que nous faisons pour toi, si l’occasion se présentait, et quand tu seras riche, ne nous aideras-tu pas à établir nos enfants ? Avec ton état et tes talents, tu peux nous rendre au centuple ce que nous te donnons aujourd’hui. Et que dirait-on de nous, mon Dieu ! dans