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de captivité le reste de ses dragées, et qui riait comme un bienheureux de les voir se bousculer pour les prendre.

— Que diable fais-tu là ? lui dit mon grand-père.

— Tu le vois bien, répondit Benjamin, j’achève la cérémonie du baptême. Ne trouves-tu pas que ces hommes, qui s’agitent à nos pieds pour ramasser de fades sucreries, représentent fidèlement la société ? N’est-ce pas ainsi que les pauvres habitants de cette terre se poussent, s’écrasent, se renversent, pour s’arracher les biens que Dieu a jetés au milieu d’eux ? N’est-ce pas ainsi que le fort foule le faible aux pieds, ainsi que le faible saigne et crie, ainsi que celui qui a tout pris insulte par sa superbe ironie à celui auquel il n’a rien laissé, ainsi enfin que quand celui-ci ose se plaindre, l’autre lui donne de son pied au derrière ? Ces pauvres diables sont haletants, couverts de sueur ; ils ont les doigts meurtris, la figure déchirée ; aucun n’est sorti de la lutte sans une écorchure quelconque. S’ils avaient écouté leur intérêt bien entendu, plutôt que leurs farouches instincts de convoitise, au lieu de se disputer ces dragées en ennemis, ne se les seraient-ils pas partagées en frères ?

— C’est possible, répondit Machecourt ; mais tâche de ne pas trop t’ennuyer ce soir et de bien dormir cette nuit, car demain tu seras libre.

— Et comment cela ? fit Benjamin.

— C’est, répondit Machecourt, que, pour te tirer d’affaire, nous avons vendu notre petite vigne de Choulot.

— Et le contrat est-il signé ? demanda Benjamin.

— Pas encore, dit mon grand-père ; mais nous avons rendez-vous pour le signer ce soir.

— Eh bien ! toi, Machecourt, et vous, ma chère sœur, faites bien