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D’ailleurs, mon grand-père, à son lit de mort, me l’a expressément recommandé, et pour rien au monde je ne voudrais manquer à ce pieux devoir.

M. le bailli, donc, était né, comme tant d’autres, de parents pauvres. Son premier lange avait été taillé dans une vieille capote de gendarme, et il avait commencé ses études de jurisprudence par nettoyer le grand sabre de monsieur son père et par étriller son cheval rouge. Je ne saurais vous expliquer comment, du dernier rang de la hiérarchie judiciaire, M. le bailli s’était élevé à la plus haute magistrature du pays ; tout ce que je puis vous dire, c’est que le lézard parvient aussi bien que l’aigle au sommet des grands rochers.

M. le bailli, entre autres manies, avait celle d’être un grand personnage. L’infériorité de son origine faisait son désespoir. Il ne concevait pas comment un homme comme lui n’était pas né gentilhomme. Il attribuait cela à une erreur du Créateur. Il aurait donné sa femme, ses enfants et son greffier pour un chétif morceau de blason. La nature avait été assez bonne mère envers M. le bailli ; à la vérité, elle lui avait fait sa part d’intelligence ni trop grosse ni trop petite, mais elle y avait ajouté une bonne dose d’astuce et d’audace. M. le bailli n’était ni sot ni spirituel ; il se tenait sur la lisière des deux camps, avec cette différence toutefois qu’il n’avait jamais posé le pied dans celui des gens d’esprit, mais que sur le terrain facile et ouvert de l’autre, il faisait de fréquentes excursions. Ne pouvant avoir l’esprit des hommes spirituels, M. le bailli s’était contenté de celui des sots : il faisait des calembours. Ces calembours, les procureurs et leurs femmes se faisaient un devoir de les trouver fort jolis ; son greffier était chargé de les répandre dans le public et même de les expliquer aux intelligences émoussées qui d’abord n’en comprenaient pas le sens. Grâce à cet agréable talent de société, M. le bailli s’était acquis, dans un certain monde, comme une réputation d’homme d’esprit ; mais cette réputation, mon oncle disait qu’il l’avait payée en fausse monnaie.

M. le bailli était-il honnête homme ? Je n’oserais vous dire le