vous préviens d’une chose, c’est que si vous m’appelez encore porte-bannière, oiseau bleu ou patron de Clamecy, je me sauve avec vos quinze sous et je retourne jouer au bouchon.
À l’entrée du hameau, mon oncle rencontra M. Susurrans, épicier, tout petit, tout menu, mais fait, comme la poudre, de charbon et de salpêtre. M. Susurrans avait une espèce de métairie au Val-des-Rosiers ; il s’en revenait à Clamecy, portant sous son bras un toulon qu’il espérait bien faire entrer en fraude, et au bout de sa canne une paire de chapons que Mme Susurrans attendait pour les mettre à la broche. M. Susurrans connaissait mon oncle et il l’estimait, car Benjamin achetait chez lui le sucre dont il édulcorait ses drogues, et la poudre qu’il mettait dans sa queue. M. Susurrans, donc, lui proposa de venir à la ferme se rafraîchir. Mon oncle, pour lequel la soif était un état normal, accepta sans cérémonie. L’épicier et son client s’étaient établis au coin du feu, chacun sur un escabeau : ils avaient mis le toulon entre eux deux ; mais ils ne se laissaient pas aigrir à sa place, et quand il n’était pas dans les bras de l’un, il était aux lèvres de l’autre.
— L’appétit vient aussi bien en buvant qu’en mangeant : si nous mangions les poulets ? dit M. Susurrans.
— En effet, répondit mon oncle, cela vous épargnera la peine de les emporter, et je ne conçois pas comment vous avez pu vous charger de cette corvée.
— Et à quelle sauce les mangerons-nous ?
— À la plus tôt faite, dit Benjamin, et voici un excellent feu pour les faire rôtir.
— Oui, dit M. Susurrans, mais il n’y a ici de batterie de cuisine que tout juste pour faire une soupe à l’oignon : nous n’avons pas de broche.