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et repassée ; somme toute, ils se portaient à merveille et fleurissaient dans leurs guenilles.

Mon père, cependant, qui était l’aîné, était le plus beau et le mieux nippé des six : cela tenait peut-être à ce que mon oncle Benjamin lui repassait ses vieilles culottes courtes, et que pour en faire à Gaspard des pantalons, il n’y avait presque rien à y changer, que souvent même on n’y changeait rien du tout. Par la protection du cousin Guillaumot, qui était sacristain, il avait été promu à la dignité d’enfant de chœur, et, je le dis avec orgueil, il était un des meilleurs enfants de chœur du diocèse ; s’il eût persisté dans la carrière que le cousin Guillaumot lui avait ouverte, au lieu d’un beau lieutenant de pompiers qu’il est aujourd’hui, il eût fait un curé magnifique. Il est vrai que je dormirais encore dans le néant, comme dit ce bon M. de Lamartine qui dort lui-même quelquefois ; mais le sommeil est une excellente chose, et puis vivre pour être rédacteur d’un journal de province et être l’antagoniste du bureau de l’esprit public, cela vaut-il la peine de vivre ?

Quoi qu’il en soit, mon père devait à ses fonctions de lévite l’avantage d’avoir un superbe habit bleu de ciel. Voici comment cette bonne fortune lui était arrivée : la bannière de saint-Martin, patron de Clamecy, avait été mise à la réforme ; ma grand’mère, avec ce coup d’œil d’aigle que vous lui connaissez, avait découvert que dans cette étoffe bénite il y avait de quoi faire à son aîné une veste et un pantalon, et elle s’était fait adjuger à vil prix, par la fabrique, la bannière révoquée. Le saint était peint au beau milieu ; l’artiste l’avait représenté au moment où il coupe avec son sabre un pan de son manteau pour en couvrir la nudité d’un mendiant ; mais ce n’était pas là un obstacle sérieux au projet de ma grand’mère. L’étoffe avait été retournée, et saint Martin avait été mis à l’envers, ce qui, du reste, était bien égal au bienheureux.

L’habit avait été mené à bonne fin par une couturière de la rue