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votre démonstration pèche donc par un côté, et vos règles relativement à la certitude historique ne sont pas infaillibles.

— L’objection est forte, dit Benjamin en se grattant la tête, je conviens qu’il m’est impossible d’y répondre ; mais elle s’applique aussi bien au Jésus-Christ de monsieur qu’à mon Juif-Errant.

— Ah çà, interrompit ma grand’mère, qui allait toujours au fait, j’espère que tu crois en Jésus-Christ, Benjamin ?

— Sans doute, ma chère sœur, je crois à Jésus-Christ. J’y crois d’autant plus fermement que sans croire à la divinité de Jésus-Christ, on ne peut croire à l’existence de Dieu ; que les seules preuves qu’il y ait de l’existence de Dieu, ce sont les miracles de Jésus-Christ. Mais, fichtre ! cela n’empêche pas de croire au Juif-Errant ou, pour mieux dire, voulez-vous que je vous explique ce que c’est pour moi que le Juif-Errant ?

» Le Juif-Errant, c’est l’effigie du peuple juif, crayonnée par quelque poète inconnu d’entre le peuple, sur les murs d’une chaumière. Ce mythe est si frappant qu’il faudrait être aveugle pour ne pas le reconnaître.

» Le Juif-Errant n’a point de toit, point de foyer, point de domicile légal et politique ; le peuple juif n’a point de patrie.

» Le Juif-Errant est obligé de marcher sans repos, sans s’arrêter, sans prendre haleine, ce qui doit être très fatigant pour lui avec des bottes à l’écuyère. Il a déjà fait sept fois le tour du monde. Le peuple juif n’est établi nulle part d’une manière fixe ; il demeure partout sous des tentes ; il va et vient incessamment comme les flots de l’Océan, et lui aussi comme une écume qui flotte à la surface des nations, comme un fétu emporté par le cours de la civilisation, a déjà fait bien des fois le tour du monde.

» Le Juif-Errant a toujours cinq sous dans sa poche. Le peuple juif, ruiné sans cesse par les exactions de la noblesse féodale et