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échecs, il la donne à un joueur d’échecs, car il faut bien, sur ses vieux jours, qu’il ait quelqu’un pour faire sa partie. Sa fille, c’est une propriété indivise qu’il possède avec sa femme. Que la propriété soit enclose d’une haie fleurie ou d’un vilain grand mur à pierres sèches, qu’on lui fasse produire des roses ou du colza, cela ne la regarde pas. Elle n’a pas d’avis à donner à l’agronome expérimenté qui la cultive. Elle est inhabile à choisir les graines qui lui conviennent le mieux. Pourvu que ces bons parents trouvent, dans leur âme et conscience, leur fille heureuse, cela suffit. C’est à elle à s’arranger de sa condition. Chaque soir la femme en faisant ses papillotes, et le bonhomme en mettant son bonnet de coton, s’applaudissent d’avoir si bien marié leur enfant. Elle n’aime pas son mari, mais elle s’habituera à l’aimer : avec de la patience on vient à bout de tout. Ils ne savent pas ce que c’est, pour une femme, qu’un mari qu’elle n’aime pas : c’est un fétu ardent qu’elle ne peut chasser de son œil ; c’est une rage de dents qui ne lui laisse pas un moment de repos. Quelques-unes se laissent mourir à la peine, d’autres vont chercher ailleurs l’amour qu’elles ne peuvent se procurer avec le cadavre auquel on les a attachées. Celles-ci glissent doucettement à cet époux fortuné une pincée d’arsenic dans son potage et font écrire sur sa tombe qu’il laisse une veuve inconsolable. Voilà ce que produisent l’infaillibilité prétendue et l’égoïsme déguisé des bons parents.

Si une jeune fille voulait épouser un singe naturalisé homme et Français, le père et la mère n’y voudraient pas consentir, il faudrait bien certainement que le jocko leur fît des sommations respectueuses. Vous dites, vous : Voilà de bons parents ; ils ne veulent pas que leur fille se rende malheureuse. Moi je dis : Voilà de détestables égoïstes. Rien n’est plus ridicule que de mettre votre manière de sentir à la place de celle d’un autre : c’est vouloir substituer votre organisation à la sienne. Cet homme veut mourir, c’est qu’il a de bonnes raisons pour cela. Cette demoiselle veut épouser un singe, c’est qu’elle aime mieux un singe qu’un homme.