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Du reste, mon oncle et M. Minxit devaient être amis aussitôt qu’ils se rencontreraient. Ces deux natures d’hommes se ressemblaient parfaitement, elles se ressemblaient comme deux gouttes de vin, ou, pour me servir d’une expression moins désobligeante pour mon oncle, comme deux cuillers jetées dans le même moule. Ils avaient les mêmes appétits, les mêmes goûts, les mêmes passions, la même manière de voir, les mêmes opinions politiques. Ils se souciaient peu, tous deux, de ces mille petits accidents, de ces mille catastrophes microscopiques dont, nous autres sots, nous nous faisons de si grandes infortunes. Celui qui n’a point de philosophie au milieu des misères d’ici-bas, c’est un homme qui va tête nue sous une averse. Le philosophe, au contraire, a sur le chef un bon parapluie qui le met à l’abri de l’orage. Telle était leur opinion. Ils regardaient la vie comme une farce, et ils y jouaient leur rôle le plus gaiement possible. Ils avaient un souverain mépris pour ces gens malavisés qui font de leur existence un long sanglot. Ils voulaient que la leur fût un éclat de rire. L’âge n’avait mis de différence entre eux que quelques rides. C’étaient deux arbres de même espèce, dont l’un est vieux et l’autre dans toute la vigueur de sa sève, mais qui se parent tous deux des mêmes fleurs et qui produisent les mêmes fruits. Aussi le beau-père futur avait-il pris son gendre dans une prodigieuse amitié, et le gendre professait-il pour le beau-père une haute estime, ses fioles exceptées. Cependant, mon oncle n’acceptait l’alliance de M. Minxit qu’à son corps défendant, par un effort de raison et pour ne pas désobliger sa chère sœur.

M. Minxit, parce qu’il aimait Benjamin, trouvait tout naturel qu’il fût aimé par sa fille. Car tout père, si bon qu’il soit, s’aime lui-même dans la personne de ses enfants ; il les regarde comme des êtres qui doivent contribuer à son bien-être ; s’il se choisit un gendre, c’est d’abord beaucoup pour lui et ensuite un peu pour sa fille. Quand il est avare, il la met entre les mains d’un fesse-mathieu ; quand il est noble, il la soude à un écusson ; s’il aime les