qui parle de lui ou des autres, se faisant juger en jugeant autrui, ne pouvant se dissimuler ni se modérer, forcé qu’il est à la franchise, à l’abandon, à l’aveu de toutes choses par l’emportement de l’attaque, la crainte de la riposte, par la nature même d’une œuvre au jour le jour, toute d’improvisation et de soudaineté, de verve et d’audace, de courage et de vérité.
Donc, je persiste, quelque redoutables que soient pour moi mes lecteurs, quelque désavantage que j’aie à m’adresser à des contemporains qui ont vu, de leurs deux yeux vu, quoique je n’aie la ressource ni d’un passé lointain, ni d’un présent confus qui vaut l’éloignement pour donner licence à l’historien, bien que Claude Tillier soit mort d’hier et ait vécu en province, c’est-à-dire en vue de tous, qu’il n’ait pu ainsi rien cacher, rien dérober de lui-même aux nombreux témoins de sa vie, je persiste, dis-je, je persiste témérairement peut-être, mais consciencieusement, à parler de lui, sinon comme il le mérite, du moins comme je le dois. Guidé par son biographe, et surtout par lui-même, j’ose espérer que je ne me tromperai pas trop ; et si pourtant je m’égare, le souvenir de ses lecteurs me rappellera, et je m’égarerai seul alors, sans faire perdre les autres avec moi.
Mais voilà que l’assurance me vient maintenant que je suis à la tache, comme l’appétit vient en mangeant.