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pas aujourd’hui ma visite, ce ne serait pas une raison pour que la négociation soit rompue.

» Manette, ajouta-t-il, il ne s’agit pas ici de Mademoiselle Minxit ; avez-vous du poisson ?

— Du poisson, fit Manette, il y en a dans le vivier de M. Minxit.

— Je vous le répète, Manette, dit Benjamin, avez-vous du poisson ? Faites attention à ce que vous allez me répondre.

— Eh bien ! dit Manette, mon mari est allé à la pêche, et il reviendra bientôt.

— Bientôt n’est pas notre affaire ; mettez-nous sur le gril autant de tranches de jambon qu’il y en pourra contenir, et faites-nous une omelette de tous les œufs qui sont dans votre poulailler.

Le déjeuner fut bientôt prêt ; pendant que l’omelette allait, venait et sautait dans la poêle, le jambon grillait. Or, l’omelette fut presque aussitôt expédiée que servie. Une poule met six mois pour faire douze œufs, une femme met un quart d’heure pour les convertir en omelette, et en cinq minutes trois hommes absorbent l’omelette.

— Voyez, disait Benjamin, comme la décomposition va plus vite que la recomposition ; les contrées couvertes d’une nombreuse population s’appauvrissent tous les jours. L’homme est un enfant gourmand qui fait maigrir sa nourrice ; le bœuf ne rend pas à la prairie toute l’herbe qu’il lui a prise ; les cendres du chêne que nous brûlons ne retournent pas en chêne à la forêt ; le zéphyr ne rapporte pas au rosier les feuilles du bouquet que la jeune fille disperse autour d’elle ; la bougie qui brûle devant nous ne retombe pas en rosée de cire sur la terre ; les fleuves dépouillent incessamment les continents et vont perdre au sein des mers les choses qu’ils enlèvent à leurs rivages ; la plupart des montagnes n’ont plus de verdure sur leurs grands crânes chauves ; les Alpes nous