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dont un seul fil vaut tous les vêtements d’une pauvre ménagère, je suis exaspéré contre les rois ; si j’étais Dieu, je leur mettrais sur le corps un uniforme de plomb, et je les condamnerais à faire mille ans de service dans la lune, avec toutes leurs iniquités dans leur sac. Les empereurs seraient caporaux.

Après avoir repris haleine et s’être essuyé le front, car il suait, mon digne grand-oncle, d’émotion et de colère, il tira mon grand-père à part et lui dit :

— Si nous faisions déjeuner avec nous chez Manette ce brave homme et ce glorieux caniche ?

— Heim ! heim ! objecta mon grand-père.

— Que diable ! répliqua Benjamin, on ne rencontre pas tous les jours un caniche qui a fait un capitaine anglais prisonnier, et tous les jours on donne des fêtes politiques à des gens qui ne valent pas cet honorable quadrupède.

— Mais, as-tu de l’argent ? dit mon grand-père ; moi je n’ai qu’une pièce de trente sous que ta sœur m’a donnée ce matin, parce que, je crois, elle n’est pas bien marquée, et elle m’a bien recommandé de lui en rapporter au moins la moitié.

— Moi, je n’ai pas le sou, mais je suis le médecin de Manette, de même qu’elle est de temps en temps ma cabaretière, et nous nous faisons mutuellement crédit.

— Seulement le médecin de Manette ?

— Qu’est-ce que cela te fait ?

— Rien ; mais je te préviens que je ne veux pas rester plus d’une heure chez Manette.

Mon oncle déclina donc son invitation au sergent. Celui-ci accepta sans cérémonie et se plaça joyeusement entre mon oncle et mon grand-père, ce qui, en style de soldat, s’appelle emboîter le pas.