four de mon père est défoncé, et j’ai les bras plus creux et plus rouillés que deux vieux canons de fusil. Je crois tout de même que je retournerai dans mon village. Ce n’est pas que j’espère y être mieux qu’en tout autre pays. La terre y est aussi dure qu’ailleurs, et l’on n’y boit pas de l’eau-de-vie dans les ornières. Mais qu’importe ! j’y vais toujours. C’est comme un caprice de malade. Je serai la garnison du pays. S’ils ne veulent pas nourrir le vieux soldat, il faudra bien au moins qu’ils l’enterrent, et, ajouta-t-il, ils auront bien la charité d’apporter sur ma fosse un peu de soupe à Fontenoy jusqu’à ce qu’il soit mort de chagrin ; car Fontenoy ne me laissera pas en aller tout seul. Quand nous sommes seuls et qu’il me regarde, il me promet cela, ce bon Fontenoy.
— Eh ! voilà le sort qu’ils vous ont fait, répondait Benjamin. En vérité, les rois sont les plus égoïstes de tous les êtres. Si les serpents, dont nos poètes parlent si mal, avaient une littérature, ils feraient des rois le symbole de l’ingratitude. J’ai lu quelque part que Dieu ayant fait le cœur des rois, un chien l’emporta, et que, ne voulant pas recommencer sa besogne, il mit une pierre à la place. Cela me paraît assez vraisemblable. Pour les Capets, c’est peut-être un oignon de lis qu’ils ont à la place du cœur. Je défie qu’on me prouve le contraire.
» Parce qu’on a fait à ces gens-là une croix sur le front avec de l’huile, leur personne est auguste ; ils sont majesté ; ils sont nous au lieu de je ; ils ne peuvent mal faire ; si leur valet de chambre les égratignait en leur passant leur chemise, il serait sacrilège. Leurs petits sont des altesses, eux, ces marmots, qu’une femme porte au poing, dont le berceau tiendrait sous une cage à poulets ; ils sont des hauteurs très hautes, des montagnes sérénissimes. On ferait volontiers dorer par le bout les mamelles de leur nourrice. Si tel est l’effet d’un peu d’huile, quel respect aurons-nous donc pour les anchois qui marinent dans l’huile jusqu’à ce qu’on les mange ?