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conclure l’autre[1]. Les sages qui ont dit qu’il n’y a qu’un Dieu ont été persécutés, les Juifs haïs, les chrétiens encore plus. Ils ont vu par lumière naturelle que, s’il y a une véritable religion sur la terre, la conduite de toutes choses doit y tendre comme à son centre.

Toute la conduite des choses doit avoir pour objet l’établissement et la grandeur de la religion : les hommes doivent avoir en eux-mêmes des sentiments conformes à ce qu’elle nous enseigne[2] ; et enfin elle doit être tellement l’objet et le centre où toutes choses tendent, que qui en saura les principes puisse rendre raison et de toute la nature de l’homme en particulier, et de toute la conduite du monde en général.

Et sur ce fondement, ils prennent lieu de blasphémer la religion chrétienne, parce qu’ils la connaissent mal. Ils s’imaginent qu’elle consiste simplement en l’adoration d’un Dieu considéré comme grand et puissant et éternel ; ce qui est proprement le déisme[3],


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  1. C’est-à-dire que les hommes ne peuvent apercevoir la misère sans nier la grandeur, ou la grandeur sans nier la misère. Pour eux un aspect de la nature humaine est exclusif de l’aspect contraire ; le chrétien seul aperçoit le double caractère de l’homme.
  2. Enseigner a ici le sens de décrire, et non de prescrire ; il s’agit de sentiments conformes non aux préceptes moraux de la religion, mais à la vérité de l’état psychologique qu’elle nous révèle par la double doctrine de la rédemption et de la corruption.
  3. Dans l’Histoire des Variations (V , 31) Bossuet, jugeant l’œuvre de Melanchton, en décrit ainsi les suites : « des chrétiens... dépouiller le christianisme de tous ses mystères, et le changer en une secte de philosophie tout accommodée aux sens... la voie ouverte au déisme, c’est-à-dire à un athéisme déguisé. » — Saint-Simon écrit de Middleton : « C’était un athée de profession et d’effet, s’il peut y en avoir, au moins un franc déiste », apud Littré.