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dénoncé la fragilité des empires, et celle des systèmes. Nul n’apprend à mieux connaître tous les hommes ; nul n’apprend à mieux juger tout l’homme. Pascal s’attache à Montaigne, comme Montaigne s’était attaché à Plutarque : « il est si universel et si plein qu’à toutes occasions, et quelque subject extravagant que vous ayez prins, il s’in gère à vostre besongne, et vous tend une main libérale et inespuisable de richesses et d’embellissements. » (III, 5.) Et Pascal ne se défait pas plus de Montaigne que Montaigne ne pouvait se défaire de Plutarque. Dans sa polémique avec Jes Jésuites sur le gouvernement de l’Église, c’est une phrase de Montaigne que Pascal oppose à ses adversaires : « La juridiction ne se donne pas pour [le] juridiciant, mais pour le juridicié (fr. 879). » S’il s’agit de défendre l’autorité du miracle, c’est à Montaigne qu’il en appelle : « Que je hais ceux qui font les douteurs de miracles ! Montaigne en parle comme il en faut dans les deux endroits… » (fr. 813 et fr. 814). Et c’est au Père Annat, à l’auteur du Rabat-joie des Jansénistes, qu’il s’adresse, en lui citant le titre même d’un Essai : « Il faut sobrement juger des ordonnances divines, mon Père (fr. 853). »

Pour Pascal les Essais sont à ce point représentatifs et compréhensifs que la personnalité même de leur auteur finit par lui causer, sinon quelque gêne, du moins une sorte d’agacement. Non par son scepticisme : les doutes qui scandalisent de Saci ou Arnauld, édifient Pascal, car ils témoignent de la « prudence » et du scrupule qu’il convient d’apporter dans la recherche de la justice et de la vérité ; mais bien plutôt par son christianisme même. Si les Essais ont touché le fond de la nature humaine, si l’Apologie de Raimond Selon, sous les apparences d’une esquisse légère, marque avec netteté les contours