Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/405

Cette page n’a pas encore été corrigée

Qui se considérera de la sorte s’effraiera de soi-

    un coin si étroit les justes proportions des éloignements, de combien les étoiles sont au-dessus de la terre au prix de la lune ? Mais sans aller si loin, vous pouvez vous figurer dans ce petit monde de votre façon la surface de la terre et de la mer, tant de profonds abîmes dans l’une et dans l’autre, tant de montagnes, tant de vallons, tant de fontaines, de ruisseaux et de fleuves, tant de campagnes cultivées, tant de moissons qui se recueillent, tant de forêts, dont les unes sont debout et les autres coupées, tant de villes, tant d’ouvriers dont les uns bâtissent, les autres démolissent, et quelques-uns font des lunettes d’approche qui ne laissent pas de servir parmi ces petits hommes, parce que leurs yeux et tous leurs sens sont proportionnés à ce petit monde ? Quoi donc, tous ces voyages de long cours, ces grands et ces petits vaisseaux qui font le tour du monde, et dont les uns sont si bons voiliers qu’ils ne craignent point les corsaires ; ce grand nombre de combats sur la terre et sur la mer ; la bataille d’ArbelIes, où le roi de Perse fut vaincu au milieu de deux cent mille chevaux et de huit cent mille hommes de pied, sans compter tant de chariots armés ! Consi dérez aussi la bataille de Pharsale, où César mit Pompée en fuite ; et celle qu’Auguste donna sur la mer, où tant de vaisseaux furent brûlés et toutes les forces du Levant dissipées. La bataille de Lépante me semble encore plus considérable en ce petit monde, à cause du grand bruit de l’artillerie : et cet épouvantable combat des souris et des grenouilles qu’Homère a chanté d’un si haut ton I En vérité, Monsieur, je ne crois pas qu’en votre petit monde on pût ranger dans une juste proportion tout ce qui se passe en celui-ci, et dans un ordre si réglé et sans embarras ; surtout en des villes si serrées, l’on devrait bien craindre, pour le danger des embrasements, de faire des feux de joie, et de fondre des canons et des cloches. Pensez aussi qu’en cet univers de si peu d’étendue il se trouverait des géomètres de votre sen timent, qui feraient un monde aussi petit au prix du leur que l’est celui que vous formez en comparaison du nôtre, et que ces diminu tions n’auraient point de fin. Je vous en laisse tirer la conséquence… » — La Logique de Port-Royal se souvient de Pascal, et peut-être aussi de Méré : « Quel moyen de comprendre que le plus petit grain de matière soit divisible à l’infini, et que l’on ne puisse jamais arriver à une partie si petite, que, non seulement elle n’en enferme plusieurs autres, mais qu’elle n’en enferme une infinité ; que le plus petit grain de blé enferme en soi autant de parties, quoique à proportion plus petites, que le monde entier ; que toutes les figures imaginables s’y trouvent actuellement, et qu’il contienne en soi un petit monde avec toutes ses parties, un soleil, un ciel, des étoiles, des planètes, une