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comme celui-ci : pour montrer la vanité de toutes sortes de conditions, montrer la vanité des vies communes, et puis la vanité des vies philosophiques pyrrhoniennes, stoïques ; mais l’ordre n’y serait pas gardé. Je sais un peu ce que c’est, et combien peu de gens l’entendent. Nulle science humaine ne le peut garder : Saint Thomas ne l’a pas gardé. La mathématique le garde [1], mais elle est inutile en sa profondeur [2].

    la tradition du langage diplomatique : D’ordre de mon souverain. Cf. fragment 283 : On ne prouve pas qu’on doit être aimé en exposant d’ordre les causes de l’amour.

  1. « La méthode de ne point errer est recherchée de tout le monde. Les logiciens font profession d’y conduire, les géomètres seuls y arrivent, et, hors de leur science, et de ce qui l’imite, il n’y a point de véritables démonstrations » (De l’art de persuader).
  2. Saint Thomas est l’organisateur de la méthode scolastique qui inspirait au temps de Pascal l’enseignement de la théologie et les docteurs de la Sorbonne : cette méthode consiste dans une énumération de propositions juxtaposées les unes aux autres et rattachées par le moyen du syllogisme à des postulats que l’on pose comme universellement admis ou comme autorisés par la révélation. Cette méthode glisse à la surface de l’esprit, parce qu’elle ne fait nullement comprendre comment la vérité s’engendre dans l’esprit ; elle apporte au vrai un appui extérieur, elle ne lui donne pas de racines en nous. La mathématique est une méthode de génération intellectuelle, et c’est pourquoi Pascal lui attribue cette profondeur qu’il refuse à tout procédé d’énumération chez saint Thomas ou chez Charron. Mais elle est inutile, parce qu’elle ne porte que sur des données hors de l’usage commun et sans relation avec notre destinée morale. Quelle serait donc la science à la fois profonde et utile ? c’est celle qui par son propre développement ferait surgir en nous la lumière nouvelle, qui nous engendrerait à la vérité en nous donnant le sentiment qui nous en rend capable ; l’ordre de cette science, au lieu d’être unilinéaire, « consiste principalement à la digression sur chaque point qu’on rapporte à la fin, pour la montrer toujours. » (fr. 283.)