Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/339

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

principes qu’ils connaissent ; et les esprits fins seraient géomètres s’ils pouvaient plier leur vue vers les principes inaccoutumés [1] de géométrie.

Ce qui fait donc que de certains esprits fins ne sont pas géomètres [2], c’est qu’ils ne peuvent du tout [3] se tourner vers les principes de géométrie ; mais ce qui fait que des géomètres ne sont pas fins, c’est qu’ils ne voient pas ce qui est devant eux et qu’étant accoutumés aux principes nets et grossiers de géométrie, et à ne raisonner qu’après avoir bien vu et manié leurs principes, ils se perdent dans les choses de finesse où les principes ne se laissent pas ainsi manier. On les voit à peine, on les sent plutôt qu’on ne les voit ; on a des peines infinies à les faire sentir à ceux qui ne les sentent pas d’eux-mêmes ; ce sont choses tellement délicates, et si nombreuses, qu’il

  1. Inaccoutumés en surcharge.
  2. La suite à la page 406 du manuscrit, avec ce renvoi de Pascal : Tourner. — Au bas, ces mots rayés : [Pour Monsieur Pascal.]
  3. [Comprendre.] — Allusion à Méré qui aimait à discuter les questions mathématiques avec Pascal et à surprendre le géomètre en flagrant délit d’absurdité logique. L’écho de ces discussions nous est parvenu par les lettres de Méré et par quelques passages de Pascal. Il écrit dans les Réflexions sur l’Esprit géométrique : « Je n’ai jamais connu personne qui ait pensé qu’un espace ne puisse être augmenté. Mais j’en ai vu quelques-uns, très habiles d’ailleurs, qui ont assuré qu’un espace pouvait être divisé en deux parties indivisibles, quelque absurdité qu’il s’y rencontre. Je me suis attaché à rechercher en eux quelle pouvait être la cause de cette obscurité, et j’ai trouvé qu’il n’y en avait qu’une principale, qui est qu’ils ne sauraient concevoir un contenu divisible à l’infini : d’où ils concluent qu’il n’y est pas divisible. » Et ailleurs : « Trop de vérité nous étonne : j’en sais qui ne peuvent comprendre que qui de zéro ôte 4 reste zéro. » (Fr. 72.) Voir la dernière note relative à ce fragment, et en particulier le mot de Pascal sur Méré : « il n’est pas géomètre. »