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sinon une chance de vérité, du moins une chance de salut. Entre l’incrédulité et la religion il faut choisir : ne pas choi sir, c’est tout de même avoir fait un choix, le choix le plus dangereux, puisque c’est courir le risque des peines éternelles. Comment trancher l’alternative ? Toute raison d’ordre spé culatif est écartée par hypothèse ; un parti n’est pas plus vrai que l’autre ; il ne reste donc qu’à considérer pratiquement lequel vaut le mieux. Or, en pariant pour la religion, je perds le droit de vivre à mon gré, puisqu’il me faut accepter la discipline intellectuelle, surtout la discipline morale de PÉglise, et je gagne la chance de la béatitude éternelle ; j’ex pose le fini pour avoir l’infini. Comment hésiter ? la raison est écartée au moins provisoirement ; la passion résiste, mais par aveuglement ; car il suffit d’un moment de réflexion pour en manifester la vanité et la misère. En réalité, pour qui est de bonne foi et possède toute sa liberté d’esprit, le fini s’anéan tit devant l’infini ; la vie présente, si on se connaît exacte ment soi-même, n’est rien, de telle sorte que, dût-on être trompé dans son espérance, on n’aura rien à regretter, et c’est là ce qui fait la force triomphante de l’argument du pari. Dès cette vie même, et n’y en eût-il pas d’autre, le chrétien est meilleur et plus heureux que l’incrédule ; ne consultât-on que son avantage d’honnête homme, on devra désirer que la religion soit vraie ; l’intérêt bien entendu ne nous donne pas la foi, mais il tourne vers la religion notre volonté et notre attention ; elle nous agrée ; or l’art d’agréer est, en raison de l’infirmité de l’homme, le commencement de l’art de persuader.

Section IV. Des Moyens de croire.

La connaissance de son néant et l’argument du pari ont tourné le libertin vers Dieu. Au lieu de la mauvaise crainte, celle qui lui fait redouter que Dieu soit, il a la bonne crainte, qu’accompagne l’espérance qu’il existe. Il s’agit maintenant de le persuader des vérités de la religion, ce qui eût été la Seconde Partie de l’ouvrage de Pascal. Dans la Préface de cette seconde partie, Pascal devait écarter les raisonnements par lesquels les philosophes et les théologiens essaient de