Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/272

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a sa valeur et sa part de vérité : le monde est doublement infini, il a une infinité de principes qui ont chacun une infi nité de conséquences ; ia seconde de ces infinités est accessible à l’esprit des géomètres ; la première est sentie par l’esprit de finesse. Aussi le raisonnement abstrait et simpliste est-il impuissant devant les problèmes de la vie. Les règles de l’école ne suffisent pas plus à créer l’éloquence qu’elles ne suffisent à créer la morale et la pbilosopbie. L’éloquence repose sur le sentiment, elle consiste à prendre conscience de la pensée qui vit au dedans de nous et se développe sponta nément suivant ses lois propres ; l’orateur doit reproduire ce mouvement intérieur de la pensée et engendrer ainsi la vérité dans l’esprit de l’auteur, il ne persuade pas autrui, il fait qu’au trui se persuade soi-même. Le discours doit prendre son point de départ dans les idées que l’auditeur est capable de comprendre, ou mieux encore sur lesquelles l’amour propre le dispose à faire réflexion, puis il laisse ces idées ini tiales insinuer d’elles-mêmes leurs conséquences dans l’esprit ; et insensiblement il le conduit où il veut comme un fleuve porte les barques qui se confient à lui. Aussi l’ordre dans le discours a-t-il une valeur essentielle ; l’invention d’un ordre nouveau est un titre suffisant à l’originalité. L’ordre véritable ne se recommande pas par des qualités extrinsèques, comme la clarté ou la symétrie ; il doit être fondé dans la nature de la pensée. À cause de cela on ne peut le saisir que lentement et difficilement, à mesure qu’on prend conscience de la vie spirituelle. Mais au moins, puisque cet ordre véritable est l’ordre de la nature, il est possible de prédire qu’il ne sera pas un produit de l’art. Tout ce qui tend à faire de l’élo quence quelque chose de réel et de subsistant en soi doit donc être rejeté. Il n’y a pas de beau style, indépendamment de la pensée que ce style exprime, pas plus qu’il n’y a de beau vêtement indépendamment de la personne que ce vêtement habille. Sous prétexte d’embellir et d’enrichir, si on multiplie les broderies et les parures, le vêtement contraste avec la per sonne, et la rend ridicule ; de même les fausses beautés du style étouffent l’homme sous le poète et sous l’auteur. Entre le métier et la nature il faut choisir, et choisir la nature, savoir être simple quand elle est simple, et quand elle est complexe, lutter avec elle de subtilité et de complexité, met