Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/234

Cette page n’a pas encore été corrigée

pu vivre cent ans avec Matiiusalem, qui devait avoir vu Adam ; il fallait qu’il eût perdu le sens, pour oser conter à ce peuple, si soigneux de l’histoire de ses ancêtres, des événe ments de cette importance, si c’étaient autant de faussetés. Eussent-ils été d’assez bonne volonté, pour croire que leurs aïeux vivaient sept ou huit cents ans, si effectivement ils n’en passaient pas, non plus qu’eux, cent ou six vingts, et pour recevoir sur sa foi des choses aussi extraordinaires que la création et le déluge, dont il n’y aurait eu parmi eux ni traces, ni vestiges, et dont pourtant, à son compte, la mémoire devait leur être encore toute récente ? Il eût fallu qu’il eût été bien simple pour prendre un parti si bizarre dans le grand champ où il était d’inventer et de mentir, et pour croire gagner quelque chose par le nombre des années, et ne pas voir ce qu’il perdait en faisant si peu de générations ; puis qu’il ne faut qu’un sens médiocre, pour juger s’il serait bien aisé de persuader aujourd’hui à un peuple qui sait tant soit peu l’histoire de ses pères, que le cinquième ou sixème en remontant a été créé avec le monde, et qu’il y a de cela deux mille ans. Ce serait leur dire deux mensonges ridicules pour un ; et le plus court serait sans doute de proportionner les générations au nombre des années, pour se cacher dans l’obscurité.

D’ailleurs, Moïse ne savait-il point à qui il avait affaire, lui qui connaissait si bien les hommes et les Juifs en particulier, cette nation si légère, si capricieuse, si difficile à gouverner ? Et est-il croyable que parmi six cent mille hommes qu’il accuse de tant de défauts et de tant d’ingratitudes, qu’il traitait en souverain, et si rigoureusement qu’il en faisait mourir vingt mille à la fois, il ne s’en fût pas trouvé un seul qui se lut récrié contre ses impostures et ses faux miracles ? Car quel homme s’est jamais vanté de tant de merveilles que celui-là, et de merveilles si éclatantes ? 11 prend pour témoins non seulement ceux en faveur de qui il les fait, mais encore un pays entier d’ennemis contre qui il les fait ; et au lieu de je ne sais quels miracles sourds et cachés qu’on attribue à d’autres, on ne voit ici que des miracles publics qui arrivent coup sur coup, et qui désolent et rétablissent un royaume eu moins de rien. En vérité, il n’est pas imaginable que l’effron terie d’un homme puisse aller jusque-là ; et qu’après tout