Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/220

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et de certains sentiments qui viennent de la nature et de l’expérience qui soient de leur portée ; et il fit voir que ce n’est que sur des preuves de cette sorte que sont fondées les choses qui sont reconnues dans le monde pour les plus certaines. Et en effet, qu’il y ait une ville qu’on appelle Rome, que Mahomet ait été, que l’embrasement de Londres soit véritable, on aurait de la peine à le démontrer ; cepen dant ce serait être fou d’en douter et de ne pas exposer sa vie là-dessus, pour peu qu’il y eût à gagner. Les voies par où nous acquérons ces sortes de certitudes, pour n’être pas géométriques, n’en sont pas moins infaillibles, et ne nous doivent pas moins porter à agir ; et ce n’est même que là dessus que nous agissons presque en toutes choses.

M. Pascal entreprit donc de faire voir que la religion chrétienne était en aussi forts termes que ce qu’on reçoit de plus indubitablement entre les hommes ; et suivant son dessein de leur apprendre à se connaître, il commença par une peinture de l’homme, qui, pour n’être qu’un raccourci, ne laissait pas de contenir tout ce qu’on a jamais dit de plus excellent sur ce sujet, et ce qu’il en avait pensé lui-même, qui allait bien au delà. Jamais ceux qui ont le plus méprisé l’homme n’ont poussé si loin son imbécillité, sa corruption, ses ténèbres ; et jamais sa grandeur et ses avantages n’ont été portés si haut par ceux qui l’ont le plus relevé. Tout ce qu’on voit dans ces fragments touchant les illusions de l’imagi nation, la vanité, l’envie, l’orgueil, l’amour-propre, l’égare ment des païens, l’aveuglement des athées ; et de l’autre côté, ce qu’on y trouve de la pensée de l’homme, de la recherche du vrai bien, du sentiment de la misère, de l’amour de la vérité ; tout cela fait assez voir à quel point il avait étudié et connu l’homme, et l’aurait bien mieux fait encore, s’il avait plu à Dieu qu’il y mît la dernière main.

Que chacun s’examine sérieusement sur ce qu’il trouvera dans ce recueil, et qu’on se mette à la place d’un homme que M. Pascal supposait avoir du sens, et qu’il se propo sait en idée de pousser à bout, et d’atterrer, pour le mener ensuite pied à pied à la connaissance de la vérité : on verra sans doute qu’il n’est pas possible qu’il ne vienne enfin à s’effrayer de ce qu’il découvrira en lui, et à se regarder comme un assemblage monstrueux de parties incompatibles ;