Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/208

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et l’on a supprimé toutes les autres qui étaient ou trop obscures, ou trop imparfaites.

Ce n’est pas qu’elles ne continssent aussi de très belles choses, et qu’elles ne fussent capables de donner de grandes vues à ceux qui les entendraient bien. Mais comme on ne voulait pas travailler à les éclaircir et à les achever, elles eussent été entièrement inutiles en l’état où elles sont. Et afin que l’on en ait quelque iuée, j’en rapporterai ici seule ment une pour servir d’exemple ; et par laquelle on pourra juger de toutes les autres que l’on a retranchées. Voici donc quelle est cette pensée, et en quel état on l’a trouvée parmi ces fragments : « Un artisan qui parle des richesses, un pro cureur qui parle de la guerre, de la royauté, etc. Mais le riche parle bien des richesses, le roi parle froidement d’un grand don qu’il vient de faire, et Dieu parle bien de Dieu. »

Il y a dans ce fragment une fort belle pensée : mais il y a peu de personnes qui la puissent voir, parce qu’elle y est expliquée très imparfaitement et d’une manière fort obscure, fort courte et fort abrégée ; en sorte que, si on ne lui avait ouï dire de bouche la même pensée, il serait difficile de la reconnaître dans une expression si confuse et si embrouillée. Voici à peu près à quoi elle consiste.

Il avait fait plusieurs remarques très particulières sur le style de l’Écriture, et principalement de l’Evangile, et il y trouvait des beautés que peut-être personne n’avait remarquées avant lui. Il admirait entre autres choses la naïveté, la simplicité, et, pour le dire ainsi, la froideur avec laquelle il semble que Jésus-Christ y parle des choses les plus grandes et les plus relevées, comme sont, par exemple, le royaume de Dieu, la gloire que posséderont les saints dans le ciel, les peines de l’enfer, sans s’y étendre, comme ont fait les Pères et tous ceux qui ont écrit sur ces matières. Et il disait que la véritable cause de cela était que ces choses, qui à la vérité sont infiniment grandes et relevées à notre égard, ne le sont pas de même à l’égard de Jésus Christ ; et qu’ainsi il ne faut pas trouver étrange qu’il en parle de cette sorte sans étonnement et sans admiration ; comme l’on voit, sans comparaison, qu’un général d’armée parle tout simplement et sans s’émouvoir du siège d’une place importante, et du gain d’une grande bataille ; et qu’un roi parle froidement dune somme de quinze ou vingt millions.