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les uniformes. Il suffit de ne pas être dupe du peuple, de ne pas appeler raison l’illusion née de la coutume et de l’imagination, de ne pas confondre avec la justice ce qui est l’effet nécessaire de la force[1].

Ainsi la justice des hommes ne conserve une apparence et une ombre d’existence qu’à la condition de désavouer toute justification rationnelle ; il est donc impossible que la justice des hommes juge la justice de Dieu. Le devoir de l’homme est de taire toute récrimination et toute revendication : la religion est contre la raison, mais c’est en vertu de sa réalité même. Déjà, pour comprendre l’ordre établi par la société il faut savoir renoncer aux préjugés de la raison ; de même, pour apercevoir l’ordre voulu par Dieu, il faut dépasser l’horizon du raisonnement. L’ignorance naturelle du peuple et la science surnaturelle du chrétien sont aux deux extrémités opposées, mais toutes deux également contraires à la raison. Instruits donc du néant de notre justice, nous sommes capables d’écouter Dieu : « il est sans doute qu’il n’y a rien qui choque plus notre raison que de dire que le péché du premier homme ait rendu coupables ceux qui, étant si éloignés de cette source, semblent incapables d’y participer. Cet écoulement ne nous paraît pas seulement impossible, il nous semble même très injuste ; car qu’y a-t-il de plus contraire aux règles de notre misérable justice que de damner éternellement un enfant incapable de volonté, pour un péché où il paraît avoir si peu de part, qu’il est commis six mille ans avant qu’il fût en être ? Certainement rien ne nous heurte plus rudement que cette doctrine… [2] » Sans doute

  1. Fr. 327, 335, 336, etc.
  2. Fr. 434.