Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/135

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qu’ils demeurent attachés à la justice. Pascal a entendu leurs doutes et leurs objections.

Si une seule chose est nécessaire, qui est le salut éternel, comment est réparti le salut ? Comment les uns ont ils mérité, et les autres ont-ils démérité ? C’est un crime de ne pas être sauvé, et ce sera le châtiment des réprouvés de se sentir condamnés par cette même raison sur laquelle leur orgueil avait fait fond[1]. Mais « les élus ignoreront leurs vertus[2] » : leur piété est l’œuvre continue, l’œuvre exclusive de la grâce que Dieu s’est réservé de donner selon sa mystérieuse et imprévisible volonté ? Il est donc impossible de découvrir la justice dans la conduite de Dieu vis-à-vis des hommes. Non seulement dans l’éternité, l’inégalité de récompense ou de châtiment ne correspond pas à l’inégalité des mérites ; mais puisqu’en définitive les hommes sont incapables de mérite, nous ne comprenons plus pour quoi il y aurait récompense ni pourquoi il y aurait châtiment, pourquoi « de deux hommes également coupables, il (Dieu) sauve celui-ci, et non pas celui-là[3]. » L’idée de justice ne subsiste donc plus dans notre esprit que pour nous conduire à l’alternative que Pascal pose sans trembler : « il faut que nous naissions coupables, ou Dieu serait injuste[4]. »

Seulement la possibilité même de cette alternative sup pose que nous avons le droit déjuger au nom de la justice ; les hommes l’admettent naïvement parce qu’ils se détournent de leur nature pour soulever des questions qui les dépassent. Ils croient à la justice, sur le témoignage,

  1. Fr. 563.
  2. Fr. 515.
  3. Lettre sur les Commandements de Dieu, suo fine.
  4. Fr. 489.