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motifs de se roidir contre ; il est inévitable que des causes d’espérance gratuite deviennent des raisons légitimes de doute et d’inquiétude. L’argument du pari, à le borner à lui-même, est dépourvu de toute efficacité ; et il faut bien qu’il en soit ainsi, puisque cette efficacité serait la justification de l’apologétique utilitaire et, dans le triomphe apparent d’une Église, l’irréfutable démonstration de l’athéisme pratique — nous n’avons pas à nous demander ce que l’auteur des Provinciales penserait de pareilles conversions[1]. Mais l’argument du pari n’est pas destiné à fournir la règle de la vie morale ; il enseigne seulement le renversement de la règle. Nous prétendons fonder notre conduite sur la vérité, et nous l’ignorons, et nous échouons dans la servitude des puissances trompeuses. Il faut maintenant mériter par notre conduite de connaître la vérité, sanctifier, en les tournant au profit de la religion, les facultés telles quelles de notre nature corrompue. La coutume a lentement façonné notre être, et remis notre raison au gouvernement de notre corps ; c’est à la coutume qu’il appartient de refaire un être nouveau. Que l’homme se fasse automate pour Dieu ; qu’il soumette son corps au système religieux des habitudes ; qu’il plie la machine aux formules de la prière et aux gestes de l’adoration. La Sagesse nous envoie à l’enfance, et le commerce de l’esprit

  1. Fr. 470 : « Si j’avais vu un miracle, disent-ils, je me convertirais. Comment assurent-ils qu’ils feraient ce qu’ils ignorent ? Ils s’imaginent que cette conversion consiste en une adoration qui se fait « le Dieu comme un commerce et une conversation telle qu’ils se la fissurent. La conversion véritable consiste à s’anéantir devant cet être universel qu’on a irrité tant de fois, et qui peut vous perdre légitimement à toute heure ; à reconnaître qu’on ne peut rien sans lui, et qu’on n’a mérité rien de lui que sa disgrâce. Elle consiste à connaître qu’il y a une opposition invincible entre Dieu et nous, et que, sans un médiateur, il ne peut y avoir de commerce. »