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parce que, hors peut-être les intuitions de la géométrie, tous les instincts que l’on veut élever au-dessus des lois rationnelles se résolvent dans les fantaisies d’une volonté dépravée ; il suffit qu’ils soient nés avec l’homme pour porter la marque de son dérèglement. La religion du sentiment est vraie, parce que la foi ne doit rien au développement interne de notre raison, parce qu’elle vient d’une autre origine : elle est un don gratuit que nous recevons d’un être différent de nous et extérieur à nous ; elle est, au sens littéral et matériel du mot, une inspiration[1].

Sans doute il n’y aurait pas lieu d’entendre ainsi la religion, si nous étions en réalité ce que nous nous flattons d’être, des créatures de raison faites pour démontrer sûrement et pour posséder directement la vérité ; car pour la raison la voie est unique qui va vers la vérité. Mais déjà en mathématiques nos plus fermes convictions s’appuient sur l’impossibilité d’admettre la thèse contraire ; comme nous l’avons dit, nous croyons à l’infinie divisibilité, parce que l’hypothèse des indivisibles est contradictoire. La vérité de la religion se concevra également par voie d’opposition : la rédemption agit exactement comme la corruption, mais en sens contraire ; de même que la corruption avait dégradé l’homme jusqu’au règne des puissances trompeuses, la rédemption établit au-dessus de la raison l’ordre du sentiment qui est inverse et symétrique. La raison serait placée entre les deux. Elle conserve la juridiction des choses qui se démontrent, et il est vrai qu’elle demande à la volonté de se régler sur la lumière de l’esprit ; mais l’homme est destiné à ne l’écouter jamais. La malice de la concupiscence fait que pour le persuader

  1. Fr. 245.