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est comme recouverte en lui par une nature factice, qui est le produit de puissances trompeuses telles que l’imagination et l’amour-propre. À cette nature, l’hérédité et la coutume ont donné la profondeur de l’instinct. Quelque chose commande à la raison, et qui vaut moins que la raison.

Mais alors, en éclairant la contradiction intime qui est le caractère de l’homme naturel, la raison a marqué sa propre limite ; car elle est la fonction de l’unité, et elle se heurte à une « duplicité » radicale[1]. Il lui est donc impossible de conclure ; s’il y a une solution, elle se trouvera plus haut que la région de la raison, sur un sommet que la lumière naturelle n’a jamais éclairé. Il y a des raisons qui passent notre raison[2] ; il y a des expériences qui sont au delà de notre expérience. Sans doute ces raisons et ces expériences sont consignées dans ce qui est écrit, comme les faits de l’histoire ; mais ce n’est plus l’homme qui a écrit, c’est Dieu. Le témoignage direct de Dieu, la révélation faite aux Juifs, est la clé de l’énigme, parce qu’elle est la base de toute psychologie : « Vous n’êtes pas dans l’état de votre création[3] ». Vous ne trouverez pas l’unité, puisque vous n’avez plus l’intégrité ; vous apercevrez dans toutes les démarches de votre pensée la corruption de votre intelligence, vous reconnaîtrez dans tous les actes de votre vie la dépravation de votre volonté, et vous mesurerez ainsi la profondeur de la chute originelle. Le péché du premier homme explique la disproportion entre la vérité qui demeure tout idéale et la réalité qui est toute misérable ;

  1. Cf. fr. 417 et toute la section VI, consacrée à mettre dans tout son jour l’opposition essentielle de la « grandeur » et de la « misère ».
  2. Cf. fr. 267.
  3. Fr. 430.