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sur la matière de la grâce, il me parut que beaucoup d’entre eux etoient choquez plutôt de certains termes, qu’ils expliquoient d’une manière odieuse, que des opinions mêmes, ce qui me porta à croire que c’etoit un devoir de charité et de justice, sans rien changer, ni altérer, ni affaiblir dans le fond des choses, de tacher d’adoucir par des expressions favorables ce qui rebutoit ces personnes dans la doctrine de S. Augustin : outre qu’il me sembloit que c’etoit un fort grand bien de contribuer quelque chose, par ce moien, à éteindre un feu qui causoit dans l’Eglise de si grands ravages, et dont l’on prenoit occasion de rendre suspects les plus pieux et les plus savans Ecclésiastiques de l’Eglise. J’etois persuadé de plus, qu’il n’y avoit rien de plus avantageux à la doctrine meme de S. Augustin, que de lui ôter un air de dureté qui en éloigne bien des gens, et de la mettre en état d’être goutée et embrassée de plus de personnes.

Feu M. Pascal, avec qui j’ai eu le bien d’être très étroitement uni, n’a pas peu aidé à nourrir en moi cette inclination. Car quoiqu’il fut la personne du monde le plus roide et le plus inflexible pour les dogmes de la grâce efficace, il disoit néanmoins que s’il avoit eu à traitter cette matière, il esperoit de réussir à rendre cette doctrine si plausible, et de la dépouiller tellement d’un certain air farouche qu’on lui donne, qu’elle seroit proportionnée au goût de toutes sortes d’esprits[1]. Et je ne dissimulerai point qu’il trouvoit un peu à redire à quantité d’écrits, de ce qu’il ne voioit pas qu’on y eût gardé ce tempérament, et qu’il y voioit au contraire certaines expressions, qu’il semble qu’on auroit pu éviter. Il m’a même dit quelquefois, que s’il eût disposé de son esprit, et que ses maladies continuelles ne lui en eussent pas ravi l’usage, il n’auroit pu s’empêcher de s’y appliquer, et

  1. Dès 1648, Pascal disait à M. de Rebours « que l’on pouvoit, suivant les principes du sens commun, démontrer beaucoup de choses que les adversaires disent luy estre contraires… » (cf. supra T. II, P. 174).