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LETTRE DE PASCAL A Mr ET A Mlle DE ROUANNEZ

quitte les plaisirs que pour d'autres plus grands. Priez toujours, dit saint Paul, rendez graces toujours, resjoüissez-vous toujours[1]. C'est la joye d'avoir trouvé Dieu qui est le principe de la tristesse de l'avoir offensé et de tout le changement de vie. Celuy qui a trouvé le thresor dans un champ en a une telle joye, que cette joye, selon Jesus-Christ, luy fait vendre tout ce qu'il a pour l'achetter[2]. Les gens du monde n'ont point cette joye que le monde ne peut ny donner ny oster, dit Jesus-Christ mesme[3]. Les bienheureux ont cette joye sans aucune tristesse ; les gens du monde ont leur tristesse sans cette joye, et les Chrestiens ont cette joye meslée de la tristesse d'avoir suivy d'autres plaisirs, et de la crainte de la perdre par l'attrait de ces autres plaisirs qui nous tentent sans relache. Et ainsi nous devons travailler sans cesse à nous conserver cette joye qui modere nostre crainte, et à conserver cette crainte qui conserve nostre joye ; et selon qu'on se sent trop emporter vers [4]l'une, se pencher vers l'autre pour demeurer debout. Souvenez-vous des biens dans les jours d'affliction, et souvenez-vous de l'affliction dans

  1. I Thess. V, 16-18 : Semper gaudete. Sine intermissione orate. In omnibus gratias agite.
  2. Matth. XIII, 44 : Simile est regnum cœlorum thesauro abscondito in agro : quem qui invenit homo, abscondit, et prse gaudio illius vadit, et vendit universa quse habet, et émit agrum illum.
  3. Joan. XIV, 27: Pacem relinquo vobis, pacem meam do vobis : non quomodo mundus dat, ego do vobis. — XVI, 22... Et vos igitur nunc quidem tristitiam habetis, iterum autem videbo vos, et gaudebit cor vestrum: et gaudium vestrum nemo tollet a vobis.
  4. Ms. de l'Oratoire : [l'un].