Page:Œuvres de Blaise Pascal, V.djvu/415

Cette page n’a pas encore été corrigée

LETTRES DE PASCAL A Mr ET A Mlle DE ROUANNEZ 399

à des personnes de ceans qui me dirent qu’il estoit necessaire de m’eprouver quelque tems avant que de penser à rien entreprendre. Dans ce mesme tems, mon frere me parla d’une affaire qui ne me permit pas de luy cacher mon dessein, et ainsi je le luy declaray, sur la parole qu’il me donna de n’en point parler. Mais il s’opposa au desir que j’avois de haster ma sortie du monde, et pour la retarder, il résolut de m’emmener avec luy en Poitou. Il obligea pour cela ma mere à faire ce voyage, qui n’y avoit pas pensé et qui ne sçavoit pas pourquoy mon frere pressoit si fort.

Ainsi je partis sans avoir rien decouvert de mon dessein qu’à mon frere, à mon confesseur ordinaire de Saint-Merry et à quelques personnes de Port-Royal. Je n’en avois rien dit à ma mere ; mais elle ne laissa pas d’en avoir du soupçon par quelque changement qu’elle remarquoit en moy, qui ne l’en asseuroit pas assez neanmoins pour la porter à en faire du bruit. Nous fumes six ou sept mois en ce voyage qui dura plus que je n’avois pensé, et je pensois à entrer à Port-Royal aussitost que je serois à Paris. Mais mon frere me demandoit tousjours du tems, et m’a fait passer ainsi cinq mois. Cependant la defiance de ma mere alloit tousjours en augmentant, et il y a deux mois que je luy en fis dire quelque chose par une personne qu’elle aime, qui ne luy en parla pas encore de ma part, mais seulement comme d’elle-mesme, afin de l’y disposer plus insensiblement. Je le luy aurois bien declaré nettement dés ce tems-là, et encore plus tost, si je n’avois connu la tendresse qu’elle a pour moy, qui l’auroit portée à en donner des marques qui auroient pu faire decouvrir mon dessein à tout le monde, comme cela n’a pas manqué d’arriver. Car aussitost que je luy en eus fait parler par une personne de pieté, la chose fut tellement sue que je n’aurois pu estre blasmée quand je serois partie dés lors. Je demeuray neanmoins encore huit jours aupres d’elle, où je fus persecutée de tous ceux qui voulurent me detourner ou m’affaiblir, mais sans effet ; en quoy Dieu m’a donné ce me semble, une marque bien apparente de ma vocation...