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de cette humeur douce et chaude, et de ce sang benin et rectifié qui fait la joye.

Vous voyez de là que l’amour de la retraite et du silence n’est pas commun à tous les devots ; et que, comme je vous le disois, c’est l’effet de leur complexion, plûtost que de la pieté. Au lieu que ces mœurs austeres dont vous parlez, sont proprement le caractere d’un sauvage et d’un farouche. Aussi vous les verrez placées entre les mœurs ridicules et brutales d’un fou melancholique, dans la description que le P. le Moyne en a faite au 7. livre de ses peintures Morales 1. En voicy quelques traits: Il est sans yeux pour les beautez de l’art et de la nature. Il croiroit s’estre chargé d’un fardeau incommode, s’il avoit pris quelque matiere de plaisir pour soy. Les jours de festes il se retire parmy les morts. Il s’ayme mieux dans un tronc d’arbre, ou dans une grotte, que dans un palais, ou sur un throsne. Quant aux affronts, et aux injures, il y est aussi insensible, que s’il avoit des yeux et des oreilles de statue. L’honneur, et la gloire sont des idoles quil ne connoist point, et pour lesquels il n’a point d’encens à offrir. Une belle personne luy est un spectre ; et ces visages imperieux et souverains, ces agreables tyrans qui font par tout des esclaves volontaires et sans chaisnes, ont le mesme pouvoir sur ses yeux, que le Soleil sur ceux des hiboux, etc.

Mon Reverend Pere, je vous assure que si vous ne m’aviez dit que le P. le Moyne est l’Autheur de cette

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1. Cf. les citations des Peintures morales, supra p. 179 sqq.