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NEUVIÈME PROVINCIALE 197

1 nos Peres ont crû qu’il estoit d’une extrême importance de détruire ce premier obstacle. Et c’est en quoy le P. le Moyne a acquis beaucoup de reputation par le livre de LA DEVOTION AISÉE ², qu’il a fait à ce dessein. C’est là qu’il fait une peinture tout à fait charmante de la devotion. Jamais personne ne l’a connue comme luy. Apprenez-le par les premieres paroles de cet ouvrage. La vertu ne s’est encore monstrée à personne ; on n’en a point fait de portrait qui luy ressemble. Il n’y a rien d’étrange qu’il y ait eu si peu de presse à grimper sur son rocher. On en a fait une fascheuse, qui n’ayme que la solitude : on luy a associé la douleur et le travail; et enfin on l’a faite ennemie des divertissemens et des jeux, qui sont la fleur de la joye, et l’assaisonnement de la vie, c’est ce qu’il dit pag. 92.

Mais, mon Pere, je sçay bien au moins qu’il y a de grands Saints dont la vie a esté extrêmement austere. Cela est vray, dit-il ; mais aussi il s’est toûjours veu des Saints polis, et des devots civilisez, selon ce Pere, p. 191. Et vous verrez p. 86. que la difference de leurs mœurs vient de celle de leurs humeurs. Escoutez-le. Je ne nie pas qu’il ne se voye des devots qui sont pasles et melancholiques de leur complexion, qui ayment le silence et la retraite, et qui n’ont que du flegme dans les veines, et de la terre sur le visage. Mais il s’en voit assez d’autres qui sont d’une complexion plus heureuse, et qui ont abondance

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1. B. [nous avons] crû,

2. Cf. les citations de ce livre de Le Moyne, supra p. 176 sq.