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élévation avec insolence, et surtout ne vous méconnois- sez pas vous mesmes en croyant que vostre estre a quel- que chose de plus élevé que celuy des autres.

Que diriez-vous de cet homme qui auroit esté fait Roy par l'erreur du peuple, s'il venoit à oublier tellement sa condition naturelle qu'il s'imaginast que ce Royaume luy estoit deu, qu'il le meritoit, et qu'il luy appartenoit de droit? Vous admireriez sa sottise et sa folie. Mais y en a-t'il moins dans les personnes de condition, qui vivent dans un si estrange oubly de leur estât naturel ?

Que cet avis est important: Car tous les emportemens, toute la violence, et toute la vanité des Grands, vient de ce qu'ils ne connoissent point ce qu'ils sont, estant dif- ficile que ceux qui se regarderoient intérieurement comme égaux à tous les hommes, et qui seroient bien persuadez qu'ils n'ont rien en eux qui mérite ces petits avantages que Dieu leur a donnez au dessus des autres, les traitas- sent avec insolence. Il faut s'oublier soy-mesme pour cela, et croire qu'on a quelque excellence réelle au des- sus d'eux; en quoy consiste cette illusion, quejetasche de vous découvrir.

��II. DISCOURS

Il est bon, M. que vous sçachiez ce que l'on vous doit, afin que vous ne prétendiez pas exiger des hommes ce qui ne vous est pas dû ; car c'est une injustice visible : et cependant elle est fort commune à ceux de vostre condi- tion, parce qu'ils en ignorent la nature.

Il y a dans le monde deux sortes de Grandeurs ; car il y a des grandeurs d'établissement, et des grandeurs natu- relles. Les Grandeurs d'établissement dépendent de la

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