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INTRODUCTION LIII

et dans le monde 1 » Et en effet cette unique hérésie consiste à faire descendre sur le plan humain les vérités de la religion. Ainsi, dans l’ordre de la morale, les principes destinés à réprimer les tendances de notre nature corrompue entraient en composition avec cette même nature ; et chaque fois que la difficulté se présentait d’accorder deux propositions contraires, on recourait à un distinguo verbal qui permettait tout ensemble, et de laisser subsister en apparence la règle, et de faire croître les exceptions au point que la règle en était effectivement étouffée. La théologie spéculative a suivi la même pente : elle a cherché dans la logique de l’École le moyen de concilier la liberté de l’homme et la puissance de Dieu, considérées toutes deux comme vérités de même portée et de même niveau, susceptibles en quelque sorte d’être placées aux deux extrémités d’une chaîne horizontale.

Aussi paraît-il tout naturel à cette théologie de s’appuyer d’abord sur le sentiment que nous avons de notre libre arbitre. L’usage de notre volonté implique la possibilité d’un choix entre les contraires, et le péché originel ne saurait avoir troublé l’exercice normal de cette volonté : « Il ne faut qu’un peu de sens commun, écrit le P. Pirot, et un peu de réflexion sur ce qui se passe entre les hommes, pour juger, que Dieu n’a garde d’imputer à péché, l’ignorance qui nous vient en suitte du péché d’Adam 2 . » Il apparaît sans doute que notre volonté naturelle est faible pour le bien ; mais on ajoute alors que, depuis la rédemption, la volonté trouve un secours dans la grâce divine, grâce également donnée à tous les hommes, capable d’accompagner, sans les prévenir ni les

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1. Pensées, fr. 933, T. III, p. 373.

2. Op. cit, p. 24 sq.