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38 OEUVRES

tout est incertain et à ceux qui asseurent que tout ne l’est pas, parce qu’il ne veut rien asseurer. C’est dans ce doute qui doute de soy et dans cette ignorance qui s’ignore 1 , et qu’il appelle sa maitresse forme 2 , qu’est l’essence de son opinion, qu’il n’a pu exprimer par aucun terme positif. Car, s’il dit qu’il doute, il se trahit, en asseurant au moins qu’il doute ; ce qui estant formellement contre son intention, il n’a pu s’expliquer que par interrogation; de sorte que, ne voulant pas dire : « Je ne sçay, » il dit : « Que sçay-je? » dont il fait sa devise, en la mettant sous des balances qui, pesant les contradictoires, se trouvent dans un parfaict equilibre : c’est-à-dire qu’il est pur pyrrhonien 3 . Sur ce principe roulent tous ses discours et

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1. Essais, II, XII, p. 364 : « Ceux-cy jugent que ceux-là qui pensent l’avoir [la verité] trouvée, se trompent infiniement, et qu’il y a encore de la vanité trop hardie en ce second degré, qui asseure que les forces humaines ne sont pas capables d’y atteindre. Car cela, d’establir la mesure de nostre puissance, de cognoistre et juger la difficulté des choses, c’est une grande et extréme science, de laquelle ils doubtent que l’homme soit capable.

Nil sciri quisquis putat, id quoque nescit,

An sciri possit, quo se nil scire fatetur [Lucr. 4].

L’ignorance qui se sçait, qui se juge et qui se condamne, ce n’est pas une entiere ignorance : Pour l’estre, il faut qu’elle s’ignore soy-mesme. De façon que la profession des Pyrrhoniens est, de branler, douter, et enquerir, ne s’asseurer de rien, de rien ne se respondre. »

2. Essais, I, I, p. 215 : « ....Je ne suis pas tenu de les faire bons, n’y de m’y tenir moy-mesme, sans varier, quand il me pîait, et me rendre au doute et incertitude, et à ma maistresse forme, qui est l’ignorance. »

3. Essais, II, XII, p. 383: « Je voy les Philosophes Pyrrhoniens qui ne peuvent exprimer leur generale conception en aucune maniere de parler: car il leur faudroit un nouveau langage. Le nostre est tout formé de propositions affirmatives, qui leur sont du tout ennemies. De façon que quand ils disent, Je doute, on les tient incontinent à la gorge, pour leur faire avouër qu’au moins asseurent et sçavent ils cela, qu’ils doutent. Ainsi on les a contraints de se sauver dans cette com-