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10 ŒUVRES

esté le principe de leurs entreprises, et de leurs desseins, dont ils pretendent qu’il est la fin 1.

Par exemple un homme pense à s’engager dans un employ du monde, dans une charge, dans un mariage. Demandez-luy quel dessein il a dans toutes ces choses. Si c’est un homme qui fasse quelque profession de pieté, il dira que son dessein est de vivre honnestement et chrestiennement selon sa condition ; de rendre la justice ; d’avoir soin de sa famille, et de ne faire tort à personne. Voilà un dessein loüable, et si on ajoute foy aux paroles de cette personne, on a sujet de croire que Dieu est la fin de ce qu’il commence.

Mais parce que, comme nous venons de dire, ces deux qualitez sont indivisibles en Dieu, voyons s’il est le principe de cette entreprise, pour pouvoir juger ensuite s’il en est la fin. Examinons pourquoy cet homme s’engage ainsi dans le monde. Nous trouverons que c’est un interest secret, une passion secrette, une ambition secrette, que l’on couvre souvent du nom de Dieu, mais qui est neanmoins le principe veritable qui le fait agir. Puis donc que Dieu n’est pas le principe de cette action, concluons qu’il n’en est point aussi la fin.

Car afin qu’une action soit vrayment rapportée à Dieu, il faut qu’elle soit produite par sa grace, et par consequent que Dieu en soit le principe. Que si cela n’est pas, c’est l’homme qui agit par soy-même 2 , en s’imaginant agir par Dieu. Cette pensée de Dieu n’est que dans la surface de son esprit, au lieu que le dessein de satisfaire son amour propre, est enraciné dans le fond de son cœur, et que c’est la cause premiere qui le fait agir.....

Voyons par l’exemple de la Vierge sanctifiée aussi tost qu’elle a esté conçùe, que Dieu arrose toujours de ses bene-

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1. Cf. Pensées, fr. 488, T. II, p.391: « Il est impossible que Dieu soit jamais la fin, s’il n’est le principe. »

2. Le texte de 1681 donne : pour soy-même....pour Dieu ; l’édition de 1736 a corrigé cette erreur.