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DISCOURS SUR LES PASSIONS DE L'AMOUR

qui frappe : la vie de tempeste surprend, frappe et pénètre[1].

Il semble que l'on aye toute une autre ame quand [2]l'on ayme que quand on n'ayme pas ; on s'eleve par cette passion, et on devient tout[3] grandeur ; il faut donc que le reste aye proportion ; autrement cela ne convient pas, et partant cela est désagréable.

L'agréable et le beau n'est que la mesme chose tout le monde en a l'idée[4] . C'est d'une beauté morale que j'entends parler, qui consiste dans les paroles et dans les actions[5] de dehors. L'on a bien une règle pour devenir agréable ; cependant la disposition du corps y est nécessaire ; mais elle ne se peut acquérir.

Les hommes ont pris plaisir à se former une idée[6] [de l'agréable] si eslevée, que personne n'y peut atteindre. Jugeons en mieux, et disons que ce n'est

  1. « L'amour est comme le feu ; plus il s'agite, plus il brûle » proverbe de Publius Syrus que La Rochefoucauld reprend sous cette forme : « L'amour, aussi bien que le feu, ne peut subsister sans un mouvement continuel. » — Il est inutile de souligner l'allusion à cette période singulière de la Fronde qui ne fut qu'un long tissu d'intrigues inséparablement « galantes » et politiques.
  2. C : on.
  3. C : toutte.
  4. Pascal se réfère peut-être à la définition de Descartes (Les Passions de l'Ame, Partie II, article LXXXV), où sont distinguées « deux espèces d'amour, à sçavoir celle qu'on a pour les choses bonnes et celle qu'on a pour les belles, à laquelle on peut donner le nom d'agrément... ». Comme le remarque également M. Michaut, on trouvera dans La Rochefoucauld et dans La Bruyère une distinction de l'agrément et de la beauté (Voir Max. 240, et Des Femmes, II).
  5. C : du.
  6. C : desagréable. — G : d'agreable.